Il y a quand même quelques avantages à publier un blog semaines après semaines, tel un moine bénédictin qui ferait mieux de travailler à ses planches : un beau jour on vous invite à aller visiter gratuitement une exposition que vous projetiez. Évidemment, alors que vous grelotterez sous une pluie glaçante, le type à l’entrée vous sortira : ”désolé monsieur, je n’ai pas votre nom sur ma liste”. Comme ce sont des gens cools à l’Espace Cartier (car c’est là que je me suis rendu nuitamment, vous l’avez deviné chers lecteurs), ce petit incident est déjà un bon souvenir à raconter.
L’enthousiasme médiatique pour cette exposition est un peu surréaliste quand on songe que le précédent ouvrage de Moebius est sorti sans faire de vagues. Pourtant Le Chasseur déprime se présentait comme la suite du fastueux Major Fatal, l’album qui m’a convaincu de faire de la BD. Mais le nom de Moebius ne semblait plus faire vibrer que les amateurs vieillissants, loin de la cohue générée par de Nouvelles Stars au sourire plus blanc, aux seins plus fermes et aux ambitions plus terre à terre. Et même eux grommelaient en voyant le Maître multiplier expositions et tableaux à destination d’une clientèle fortunée. Cette espèce de reconnaissance par les médias est finalement une bonne chose pour un grand artiste qui impressionne toujours par son énergie et sa créativité. Reste à voir si c’est une grande exposition.
L’invitation précisait ”visite guidée”. Après plus de vingt cinq ans à compulser les recueils de l’oeuvre moebiusienne, je n’ai pas tenu longtemps avec le groupe de blogueurs. Pas que les commentaires fussent inintéressants mais analyser un travail qui m’a séduit par sa liberté et son inconscience a un côté vaguement déprimant. Allez hop, on commence par un court métrage en 3D qui reprend l’histoire courte La planète Encore parue à l’origine dans À Suivre. Une histoire muette qui voit les deux héros du cycle d’Edena débarquer sur une planète désertique qu’ils vont littéralement féconder par leur présence. Bien fait et sympa à regarder, le film n’arrive pourtant pas à la cheville des planches qui étaient exposées dans la salle, d’une fraîcheur et d’une précision étonnantes. La précision, c’est ce qui m’aura le plus frappé dans cette exposition. En partant du thème de la transformation, on pouvait admirer des oeuvres de toutes les périodes et j’ai découvert avec émotion des originaux de planches ou d’illustrations qui auront marqué mon imaginaire. La grande surprise a été de voir que les reproductions étaient dans la plupart des cas de taille supérieure à l’original (sauf les planches, évidemment, gros malins. Quoique…). Si l’ensemble était de haute volée, il ne faut pas s’attendre à une exposition monument. On est loin de la richesse de l’exposition d’Angoulême. Le thème choisi n’est pas idiot mais restreint évidemment le choix des œuvres présentées. Comme Moebius a beaucoup vendu, il manque de nombreuses choses et le visiteur néophyte n’aura qu’une vision très limitée de la richesse de l’univers de l’artiste. Il y avait aussi un documentaire de 50 minutes que j’ai juste entraperçu. Visiblement, on suivait Moeb dans ses pérégrinations et un collègue et ami m’a avoué sa déception face à un objet assez artificiel et fabriqué. Et la boutique demande le collectionneur avide ? Des crayons de couleurs, un cahier à colorier, un puzzle en bois, des magnets et une boîte en fer blanc, l’habituelle quincaillerie des musées. Je n’achèterai pas le catalogue (très bavard) qui montre surtout des images récentes et j’ai juste investi dans un badge pour marquer le coup. Je l’avoue, j’éprouve bien plus de plaisir avec le ”vieux” Moebius des années 60/70, celui qui travaillait encore au hasard, à moitié inconscient de ce que révélait son travail, jouant avec la réalité et les clichés visuels, s’amusant avec des histoires sans queue ni tête, bousculant les normes en jouant la violence graphique et l’érotisme à deux balles. Le Moebius d’aujourd’hui est fascinant par sa rigueur et la clarté de son projet mais j’ai personnellement plus besoin de provocateur virtuose que de respectabilité artistique en ce moment. Reste que l’énergie créatrice perceptible dans la foison de dessins donnait envie de s’y mettre sérieusement et d’arrêter de chouiner (bouhouuuu, je ne serai jamais aussi bon que Moebius).
Tiens, je vous mets une image qu’on ne voit pas à l’expo. Des ET, un type mystérieux, une mise en page énigmatique, voilà quelque chose qui me parle (la légende n’est compréhensible que pour les visiteurs de l’expo) !
- Auclair est un auteur BD réaliste mort à 47 ans en 1990. Il a réalisé des BD ”post apocalyptiques” très ancrées dans les thèmes d’écologie et de vie alternative. L’article qui lui est consacré sur Wikipedia a l’air d’avoir été écrit par un élu UMP assez jeune pour faire des fautes d’orthographe. Oui, oui, toute cette histoire a plus de vingt ans !
- Il ne faut surtout pas raconter des anecdotes un peu honteuses aux journalistes. Ils risquent de le répéter.
C’est pas un compte rendu de journaleux,ça!(euh…”Humour”,hein)Bravo,LI AN.Excellent billet.
(Ben,quoi,FERRI?Il est trés bien FERRI.Du coup je découvre son blog;merci,tiens.)
Et pan dans ma Gu…C’est le site de LARCENET.J’ai de la chance:Il est tout autant remarquable;et ses coups de sang sont excellents pour la santé.(”Votre nom ne figure pas sur la liste” est aussi traumatisant qu’etre choisi-SUBI!-en dernier à l’école pour composer une équipe de Foot/Hand/Basket…Monde cruel.)
Ah, c’est donc lui, Larcenet ? Il faut féliciter l’équipe de promo de l’évènement qui digère mon billet sans sourciller. Voilà des gens fair play.
Au détour de ton billet,une réflexion pertinente qui m’a (et devrait) beaucoup intéressé:”(…)Mais analyser un travail qui m’a séduit par sa liberté et son inconscience(…)”.Et Dieu sait que ça sait etre passionnant,mais tellement vain face à Moebius…Beau sujet(Vous avez une heure.)
T’inquiète, on trouve toujours des gens pour te décortiquer ça.
C’est bizarre parce que j’ai toujours trouvé Moebius très gentil comme monsieur. Bavard, autocentré, narcissique, mais jamais cynique comme a l’air de le penser ce tien confrère, auteur du blog en question.
Il y a quand même de nombreux témoignages de son goût de la mise en boîte. Mais ce ne serait pas en continu, plutôt par crise… Et ça lui a peut-être passé depuis.
Binet fut une de ses cibles…Mais c’est pas bien grave,non,tout ça?..
Oui et non. Faut juste se rappeler que les artistes ne sont pas des saints (ce n’est pas évident pour tout le monde).
Pas faux…Dans le genre,SFAR dégaine assez régulièrement…Les sollicitations-interviews- sont assez nombreuses là aussi,ce qui explique peut etre-Ou pas du tout tiens-cela…
Les auteurs BD n’ont pas encore la culture du parlé correct.
Sans doute seras-tu plus intéressé par ”Moebius Œuvres, les années Métal Hurlant”. En espérant pour toi qu’ils l’envoient gratuitement aux blogueurs (99 €) !
http://www.humano.com/blog/le-blog-des-humanos/id/2594
Je comprends ce que tu veux dire concernant cette ”virginité” perdue de l’artiste. Même si Moeb avait certainement du recul sur son travail, disons qu’il faisait appel et mettait en jeu d’autres énergies dans le processus créatif à l’époque mais bon, l’artiste comme l’homme passe par des phases et je lui en voudrais plus si au contraire il se contentait de reproduire un schéma, même efficace, sous prétexte que celui-ci fonctionne.
Au contraire je suis toujours interloqué par l’extrème acuité dont fait preuve le bonhomme (j’ai adoré dans le n° de Tao la façon, entre autre, dont il parle de son refus du nivellement de l’énergie dans la réalisation d’une bd, j’l’avais quelquefois senti mais aurais été incapable de nommer cette application d’un questionnement de soi-même utilisant le médium). Dire que lorsque j’étais plus jeune je ne voyais en lui qu’un époustouflant dessinateur
alors que c’était quelqu’un qui essayait (et a réussi) de comprendre et de changer le monde !
Certains peuvent le trouver hautain. On aurait pu dire la même chose de Picasso…
@Totoche : ben pas vraiment. Il n’y a aucun contenu inédit et j’ai déjà tout ça en une voire plusieurs versions.
@Patrickster : quel enfoiré, ce Picasso. Il se la coulait bien douce pendant l’Occupation, moi je vous le dis.
@ Li-An : ”Oui et non. Faut juste se rappeler que les artistes ne sont pas des saints (ce n’est pas évident pour tout le monde).” ;)
c’est vrai que cet article wikipedia sur Auclair est très limite…
Une vision subjective de l’auteur. Pourquoi pas mais il aurait fallu le préciser. Il est quand même mieux fichu que l’article sur Gauguin qui ne signale même pas qu’il y a eu deux voyages distincts à Tahiti.
Pas mal le coup de l’invit pas reçue.
Prêt à retenter le coup ? http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/12/13/des-blogueurs-influents-invites-a-dejeuner-a-l-elysee_1452913_823448.html
Il doit y avoir quelques tableaux intéressants à l’Élysée…
C’est pas mieux ‚l’Assemblée nationale..?
Il va falloir que je m’organise une nouvelle tournée pour pouvoir répondre.
Ca y est je l’ai vue cette exposition ! (grâce à ?… grâce au blog de Li-An ! Merci blog de LI-An!)
Et ça valait la peine. Les dessins de tout petit format étaient présentés astucieusement, ça permettait un tout autre rapport avec les images que le classique accrochage à hauteur de cimaise (on avait l’impression de suivre de petits cailloux blancs).
Li-An : ”La grande surprise a été de voir que les reproductions étaient dans la plupart des cas de taille supérieure à l’original (sauf les planches, évidemment, gros malins. Quoique…)”
C’est toujours surprenant de voir qu’il travaille parfois à des formats gigantesques (je pense aux originaux de ”Griffes d’Ange” exposés à la galerie Stardom au siècle dernier) et parfois sur timbres-poste sans que les caractéristiques du trait changent notablement : la plupart des dessinateurs cherchent quelle est la ”distance avec le papier” qui leur convient, et quand ils l’ont trouvée, ils s’y tiennent… (je crois y voir un exemple concret du ”refus du nivellement de l’énergie”, expression un peu abstraite que cite Patrickster) (… ? …)
”Le refus du nivellement de l’énergie”… voilà une belle formule en effet. Disons que c’est le besoin de ne pas s’encroûter.
Oui, il ne faut JAMAIS laisser le palpeur de mirette branché en permanence. Si jamais il entrait en résonance avec le projecteur à double polarisation chromatique, les conséquences pourraient être catastrophiques.
Genre on peut changer de sexe.
As tu vu l’intégral avec toutes les histoires de moeb dans métal ?
J’ai vu ça en en librairie aujourd’hui :)
Oui, imprimé en Chine avec une couverture très fragile. Tiré en quantité pas importante et qui ne sera pas réimprimé (sous cette forme). Rien d’inédit.
Il est vrai , rien d’inédit mais marrant de voir cette objet qui me rappelle les integrales à la Spirou de l’époque ;)
Les intégrales ont le vent en poupe en ce moment.