Astérix fête cette années ses soixante ans et un nouvel album est sorti pour les fêtes. Ne me demandez pas ce que ça vaut, je ne jure que par Goscinny. Et voir Conrad là-dedans me file un petit coup de blues. C’était tellement bien Conrad quand il faisait ses trucs à lui. Vraiment ? Il faut que je vérifie ça.
Les Indes pas galantes
Parmi les souvenirs les plus marquants de mes lectures du début des années 1990, il y a sans conteste les deux volumes du Piège malais. Conrad s’est plus ou moins brouillé avec Yann et développe ses propres histoires désormais (rappelons que Les Innommables devait être au départ scénarisé par Conrad et dessiné par Yann).
Le piège malais reprend l’univers et le personnage de L’avatar, un petit album paru chez Bédéfil qui n’avait pas connu de suite (et de fin).
Le jeune Ernest s’est perdu en Inde, à la recherche d’on ne sait quelle aventure ou richesse, et vivote de chapardages. Il croise le chemin de Karl, un homme redoutable sous l’emprise d’une statuette maléfique, qui l’engage dans son équipage. Le bateau de Karl s’arrête dans un petit royaume perdu, confetti de l’Empire Britannique, et semble bloqué là à jamais car Karl sombre dans la folie. Ernest, sous l’influence de la statuette, croise le chemin d’une jeune prostituée qui tente d’échapper à son sort.
De la violence, des gros mots et du cul
Conrad a privilégié la couleur pour cette histoire publiée dans une collection incontournable pour tous les amateurs de BD de l’époque qui privilégiait une bande dessinée d’auteur ambitieuse (et qui payait généreusement). Il abandonne le style « Franquin » pour un dessin plus relâché avec moins de cases dans les planches pour mettre en avant le décor, les couleurs et la foule indienne. D’ailleurs, en contemplant certaines pleines pages, je me suis demandé si il avait travaillé sur un format assez petit et en fait elles font un bon 51 cm de haut.
L’histoire est assez simple et multiplie les scènes d’anthologie avec des histoires courtes racontées par les fantômes d’Européens morts et le point de vue de plusieurs personnages. On retrouve le mauvais esprit du duo Yann/Conrad (et des années 1980 plus généralement) puisque tous les personnages (les Occidentaux comme les indigènes) se révèlent lâches, pervers, avides de puissance et manipulateurs. Conrad se révèle inventif en ce qui concerne les insultes qui pleuvent et n’hésite pas à dessiner de longues scènes de sexe qui échappent brillamment à l’érotisme bas de gamme.
L’ensemble est passionnant à lire (ou relire) car Conrad réussit à créer un sentiment d’exotisme et de dépaysement incroyable avec son dessin, ses couleurs, son sens du détail croustillant et ses trognes pas possibles. Je ne pense pas que ce soit une Inde très réaliste mais elle a une atmosphère inoubliable. L’absence de vrai enjeu pour le personnage principal donne une coloration rêveuse à l’ensemble où rêve et réalité sont tout aussi étonnants. En relisant ça, je me suis rappelé pourquoi j’aimais la BD, les possibilités qu’elle offrait et je me demande pourquoi je ne retrouve pas ces sensations aujourd’hui. Peut-être qu’un Astérix n’est pas suffisant pour moi.
Je trouve pour le coup que les couleurs ont mal vieilli. (je me permets, hein, depuis que je suis devenu expert…)
J’adore ses couleurs.
Et pas un mot de la co-scénariste Wilbur ? (Mme Conrad à la ville si je ne m’abuse)… Il me sembalit pourtant que son travail non crédité était désormais reconnu plus ou moins officiellement…
C’est elle qui avait écrit la première mouture il me semble. J’ignorais qu’elle avait travaillé là-dessus (je ne suis pas devin non plus).
Pour en savoir plus sur les crédits de Wilbur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Wilbur_(sc%C3%A9nariste)
(c’est vrai que les crédits scénaristiques sont pas forcément évidents dans l’œuvre de Conrad – voir aussi Yann qui signait Jean Léturgie pour Kid Lucky dessiné par Conrad sous le pseudo de Pearce)
Malheureusement ni Wiki ni BDGest ne citent les sources de ces informations. J’imagine que c’est sorti en interview.
Ma foi je sais pas si c’est la source de base mais en tout cas c’est bien tout expliqué dans sa fiche auteur de chez Dargaud donc ça doit être vrai : https://www.dargaud.com/bd/Auteurs/Wilbur
C’est le même texte qu’ActuaBD. On est bien avancé avec ça.
Traversant il y a 23 ans le quartier des homéoputes à Bombay en croupe de la moto de Ptiluc, j’ai eu l’impression que pas grand chose n’avait changé depuis le piège malais.
Une aventure de John Constantine/Hellblazer se déroule dans le même cadre, et dégage à peu près le même fumet (démons indiens et bâtards d’Anglais)
http://www.revolutionsf.com/revblogs/theculture/2010/11/22/john-constantine-hellblazer-india-2010/
Concernant Conrad, je me sens un peu amer de n’apprécier de lui que ce piège + Aventure en Jaune, mais si ce furent ses seuls traits de génie, c’est mieux que s’il n’en avait pas eu du tout !
C’est chiant les gens qui arrêtent d’être géniaux, je le reconnais.
Regarde Brian de Palma après ”Phantom of the Paradise”…
un peu de tolérance, que diable ! il faut bien être, quand on a tété !
Dans mon cas, c’est un mauvais exemple parce que j’ai découvert Phantom après d’autres que j’avais aimés (notamment Body Double). Et je ne rentre pas tout à fait dans le film (probablement à cause de la musique qui est une musique de ”vieux” pour l’ado que je fus).
Tout cela m’apparait fort subjectif, car de mémoire nous fûmes ados simultanément et Phantom annonce le punk, lors de la scène de l’audition de Beef, en tout cas, donc c’est de la musique de d’jeunz’, en 74, en tout cas. Enfin c’est vrai que toute la B.O. est signée par Paul Williams et qu’elle dégage un lourd fumet de variétoche 70’s.
… aah, en fait j’ai 3 ans de + que toi, ça compte à cet âge !
Sans compter que je ne me suis vraiment intéressé à la musique et au cinéma qu’assez tardivement au final.
Entièrement en accord avec chacun de tes propos…ce n’est même pas un semblant de nostalgie;son tout-public Donito prolongeait cette voie,ambitieuse,tant pour son auteur que pour le lectorat.Son trait semble au meilleur,apaisé,précis et noble.La « forgerie »des héros de b.d. me rend très amer…
En même temps, je me demande quel enfant sera nostalgique de la BD d’aujourd’hui :-)
Oui.Cela me rappelle la teneur,un angle de vue qui m’avait échappé,de l’ultime billet de Pat Rik.https://dessine.blogspot.com/
Peut-on être nostalgique(pourquoi faire,du reste)d’une ère de pastiche..?
On est en pleine nostalgie des années 80 et de leurs comiques, tout est possible. La nostalgie est un puissant levier créatif.
Et on attend toujours une ré-édition du T7 de ”Tigresse Blanche”, (pourquoi pas en N&B) que j’avais négligé à sa sortie…
J’avais abandonné depuis longtemps Conrad quand il a sorti Tigresse Blanche.
‘Finalement mis la main là-dessus, et je suis un peu déçu. Je n’ai pas réussi à me laisser porter par ce côté ”exercice de style”… Une histoire qui ne va pas très loin, mais qui ne sert pas à grand-chose par ailleurs… On reste coincé sur ces barges avec ces personnages pas vraiment creusés. Alors ok, c’est joli mais ça tourne un peu en rond (alors que j’aurais admis des personnages plats si par ailleurs on se gavait de péripéties). Un drôle de récit (volontairement ?) ectoplasmique qui se termine en eau de bouquin/pirouette cynique mais qui refuse tellement toute intrigue qu’on en vient à se demander s’il ne manque pas des pages.
Je pense qu’il faut aimer les récits ectoplasmiques pour rentrer dedans :-) Le côté daté c’est l’exotisme dangereux où se perd le héros. Très à la mode dans les années 1980/90 et complètement disparu ou quasi aujourd’hui – à relier à Indiana Jones voire Pirates des Caraïbes.
C’est Indiana Jones avec Indiana Jones pété à l’opium qui comate pendant les 3/4 de l’aventure, c’est un style :) (mais je ne ferais pas l’affront à Conrad de penser que ce n’est pas assumé)
Je pense que c’est parfaitement assumé. Il y a un peu de Corto Maltese et on retrouve cette approche dans Théodore Poussin et les scénarios de Yann pour Chaland.