Les Scorpions du Désert est un des albums de Hugo Pratt qui m’aura le plus marqué quand j’ai commencé à lire ses ouvrages. Pour une raison simple et classique chez moi : le dessin.
Les Scorpions… est un recueil d’histoires courtes dans la version Casterman publiée en 1977. C’est un peu compliqué de trouver des infos précises sur la genèse du cycle, mais les premières planches ont été publiées en Argentine en 1969 dans la revue Sgt Kirk. Les premières histoires sont reprises à partir de 1973 dans Tintin à l’exception notable de la longue histoire en deux parties J’ai deux amours, mon pays et Paris et L’Ange de la Mort. J’ignore s’il y a eu création originale pour Tintin.
Le cycle continue en plus bavard et moins tenu graphiquement et je n’ai pas investi (les discussions avec la lune sont devenues une espèce de mème pour les amateurs BD).
Comme la couverture l’indique, Les Scorpions… se présente d’abord comme des histoires de guerre comme Pratt en a beaucoup dessiné. Les Scorpions du Désert est une unité britannique, The Long Range Desert Group, qui a réellement existé pendant la Seconde Guerre mondiale et qui était chargé de missions de reconnaissance dans le désert nord africain. La philosophie et la nature des hommes qui la composent inspirent Pratt qui connait la période et la région… puisqu’il a été intégré à l’armée italienne à cette époque alors qu’il n’est qu’un adolescent. Ce vécu explique probablement la longévité du cycle.
Cela faisait très longtemps que je n’avais pas lu cet album et je me suis un peu inquiété de ce que j’allais retrouver. Est-ce que j’allais être déçu ?
R.A.S à Djaraboub présente l’équipe, tous des gars séduisants, aux avant-bras irrésistibles (il est très fort pour les avant-bras poilus, Pratt) qui découvrent qu’il y a un traître parmi eux. Cette première histoire s’amuse de la séduction du corps féminin caché par les habits traditionnels de cette région.
La piste de Siouah est franchement ennuyeuse, une suite de combats qui n’est sauvée que par la fin ironique qui montre le mépris des troupes régulières vis à vis des Scorpions.
Direction Le Caire est une de mes histoires préférées de Pratt. Le dessin gagne en lisibilité et le trait devient plus graphique. Nos héros croisent le chemin d’une espionne juive qui doit rentrer de toute urgence au Caire. Elle est jeune, un peu snob, courageuse et élégante. Ça fait des étincelles entre elle et le lieutenant Koïnski (très Milton Caniff d’ailleurs). Le scénario est prenant, les personnages vraiment romanesques et la fin émouvante. Un vrai tour de force.
Le dyptique J’ai deux amour… et L’Ange de la Mort tournent autour d’un jeune officier italien à la recherche d’un trésor. Le personnage est séduisant, à moitié fou et Cush, un personnage des Éthiopiques, se joint à la danse. Le long voyage des protagonistes se transforme en plongée infernale dont ils ne sortiront pas indemnes.
Au final, soupir de soulagement, j’ai retrouvé tout le plaisir dont j’avais le souvenir. Le goût des personnages secondaires, la poésie ironique et l’explosion des scènes d’actions où Pratt semble se lâcher à chaque fois.
Uniformes et combat
À la sortie de l’album, le préfaceur galère un peu à justifier la publication d’un ouvrage qui montre des soldats combattants, même pas honteux de flinguer l’ennemi. Pas trop dans l’air du temps de la fin des années 1970. On remarquera aussi le côté fétichiste de Pratt en ce qui concerne les uniformes. En premier lieu, ils apportent une prestance aux mecs. Ils participent évidemment au sentiment d’aventure. Un type en uniforme est susceptible de se faire canarder ou d’envoyer du plomb très régulièrement. Étrangement, ils soulignent la diversité des ethnies et caractères, rendent les indigènes encore plus exotiques et apportent un contraste intéressant. Le désert est un lieu sauvage et dangereux envahi de solitudes humaines dont la présence n’est justifiée que par un uniforme, un uniforme qui ne semble pas faire le soldat vu les têtes brûlées qu’on y croise.
Ce goût du détail amène malheureusement à la multiplication de véhicules blindés. Je dis malheureusement parce que je n’ai jamais pu me faire vraiment à ces engins dessinés à la règle par un assistant (si vous connaissez son nom) et qui paraissent léviter dans les planches.
C’est de la poésie, cette critique ! Très beau passage sur les uniformes…
Poésie des fautes de français, oui. L’uniforme est vraiment un élément important dans le dessin de Pratt et c’est vraiment une caractéristique chez lui, héritage d’une tradition artistique un peu désuète et très romantique.
Cette idée de l’uniforme comme vecteur de l’aventure ne m’avait jamais frappé avec cette évidence… Un gars dans le désert c’est un gars dans le désert, un gars en uniforme dans le désert, ça raconte quelque chose en soi…
Et il y a toute une tradition qui remonte à la Légion et à Lawrence d’Arabie.
Je me rappelle d’une publication d’ultimes épisodes des scorpions du désert dans (à suivre) qui devenaient un peu baclé au dessin.
Concernant le coupable des blindés dessinés à la règle j’ai suivi cette piste :
http://www.editionsmosquito.com/auteur.php?id=98
Je suppose que c’est bien lui. J’ai aussi cherché mais il n’est jamais indiqué clairement qu’il a réalisé les engins motorisés. On a un peu de mal à voir ce que Pratt a trouvé comme vrai talent chez lui parce que son travail personnel n’impressionne pas beaucoup.
Je ne sais pas si on peut parler de dessin « bâclé » puisque c’était aussi un choix artistique (et économique). D’ailleurs, j’ai une réflexion là-dessus : laisser tomber la partie graphique en BD pour les vrais dessinateurs, est-ce que ce n’est pas abandonner une part de son inspiration et de son enfance ?
Pour le coup tu m as donné l envie de relire ce livre. Je ne vais pas mourir trop bête non plus, apprenant ce soir l existence, et le rôle de ce monsieur Vianelo auprès de Pratt. Ça m avait toujours intrigué ce contraste entre le dessin enlevé de H. Pratt, et la rigidité de ces trains et autres matériels militaires (pour exemple le train de Semenoff et de la duchesse Seminova, dans Corto en Sibérie). Sinon, je le trouve assez ”vivant” ce Westland Lysander de la seconde planche ci-dessus. :-)
Les avions ont l’avantage de « flotter » naturellement dans les airs et ne sont donc pas trop décalés par rapport au reste du dessin.