Même si j’ai démontré que j’aimais beaucoup l’univers et le graphisme de Forest, je dois avouer que j’ai beaucoup de mal avec sa narration et ses dialogues – comme c’est l’essentiel de ce qui fait son charme, je vais me faire mal voir. Ici Même a été pendant mon adolescence une espèce de symbole de BD ”intello” aussi gaie qu’un dimanche pluvieux. J’ai dû lire ça à la bibliothèque de St Malo et j’associe ses images à un ciel bas et venteux et rien d’autre à se mettre sous la dent. J’ai cru comprendre que ça a été considéré comme un album majeur à sa sortie mais je me rappelle surtout du dézingage de Cornillon Philippe Manœuvre dans Métal Hurlant suivi d’une réponse de Tardi en personne. Faut dire que cette histoire de bonhomme réduit à vivre sur les murs, en attendant de gagner un hypothétique procès qui lui permettrait de regagner ses terres tournait au monologue au service d’un univers ultra balisé.
En ce moment, je fais un retour de flammes Tardi et j’achète un peu tout ce que je trouve. Ce n’est pas seulement un grand dessinateur mais aussi un énorme dessinateur de BD. Parce que la BD, c’est un exercice particulier. Il faut dessiner les mêmes persos encore et encore, faut qu’ils restent ”ressemblants”, il faut que le décor soit cohérent etc, etc… Un exercice qui demande de l’application et un talent particulier. De ce point de vue là, on peut comprendre le succès de Tintin ou des Schtroumpfs. Des univers parfaitement maîtrisés avec des personnages identiques d’un album à un autre. C’est d’ailleurs du fait qu’on ne distingue plus la différence d’une case à l’autre qui permet au lecteur de ”croire” aux personnages. Il n’a plus besoin de réfléchir sur ce qu’il regarde, l’absence de modification rend le personnage littéralement vivant, précédant immuablement l’image mentale que se forge le lecteur de BD. Tardi va encore plus loin que Hergé ou Peyo. Il a su dépasser le stade de la série pour faire des histoires indépendantes. Mais ces histoires contiennent toujours la même chose et les mêmes personnages. Ici Même est quasi la quintessence de ses répétitions. Le héros, c’est Brindavoine et tous les persos longilignes qu’il a déjà dessiné. La fille dont il tombe amoureux, c’est Adèle et toutes les autres, bouche boudeuse, seins lourds et yeux fermés. Les chapeaux melons, les pierres, les maisons se répètent à l’infini. Acheter un album dessiné par Tardi, c’est retrouver encore et encore ces mêmes prototypes graphiques avec quelques variantes. Mais c’est aussi la force de son univers.
Pour en revenir à Ici Même, je me suis dit en l’achetant enfin que j’avais mûri, que j’étais capable de m’attaquer à des histoires plus complexes, plus littéraires. Que nenni, j’ai retrouvé ce sentiment cafardeux du noir et blanc à la À Suivre, tous les albums de Comès et d’autres, où les gens sont très sérieux et font la gueule en plus de 100 pages. Impossible d’aller au bout… Misère…
Le secret de l’étrangleur, je l’ai lu un peu par hasard, pas convaincu par ces pavés mouillés et ces pavés de texte resservis encore une fois comme un plat du jour chez votre restau du midi. Et ça a été une heureuse surprise : un policier qui ne se prends pas la tête avec un mystère mystérieux, à l’ancienne. Tardi en profite pour faire son petit tour dans Paris et va jusqu’à nous donner les correspondances métropolitaines choisies par ses personnages. C’est futile et rigolo.Pour aller vite, un étrangleur sème la panique dans un Paname envahi par le brouillard et déserté par la police qui fait grève. Cet assassin libraire convainc un ado rondouillard et fanatique de romans policiers de l’accompagner dans ses tournées morbides. C’est clairement ce personnage complexe de gros lard un peu paumé qui fait le charme de l’histoire. Siniac et Tardi arrivent bien à rendre l’agressivité de l’ado moyen qui se voudrait adulte et qui découvre ce que c’est que de grandir de manière abrupte. Dommage que les différentes fins proposées (pour cause de prépublication dans de faux magazines ?) n’apportent rien à l’ensemble.
Pour conclure, j’ai découvert que Tardi est publié aux States par Fantagraphics depuis un an et que les Amerloques aussi ont le droit de se prendre la tête avec Ici Même.
- Ici Même, un album publié par Casterman scénarisé par Forest.
- Le secret de l’étrangleur, un album aussi publié par Casterman et scénarisé par Siniac.
J’ai honte (et je vais me faire étrangler par Mme T. ‑qui a toujours bon goût- et dont c’est un des albums préférés), car je dois avouer que n’ai jamais réussi à aller jusqu’au bout d’Ici-Même, et ce, malgré plusieurs tentatives.
La prochaine fois, je crois que je commencerai par la fin.
Bonne idée, je vais faire la même chose une fois que je l’aurai revendu.
C’est vrai que les BD de Forest ont une saveur particulière (hors son graphisme extraordinaire). J’ai dans mes étagères les Hypocrites, avec lesquels je suis rentré dans son oeuvre (un emprunt ds une bibli de Rennes)… et je ne les ai pas relu, de peur de ne pas retrouver la poésie de ma première lecture.
Ici Même est beaucoup plus construit que les Hypocrite, où ça part un peu dans tous les sens. Le dessin de Tardi, très froid, charge (plombe) un peu le récit.
Alors qu’au contraire, les histoires de Forest ont réussit à transcender les dessins de Savard et Bignon.
J’ai un gros retard en Forest mais j’ai un peu de mal avec ses tonnes de texte.
rhôôô ! Ici Même ! Merde quoi, y’a à boire et à manger dans cet album que j’ai toujours adoré, il y a 15 ans lorsque je l’ai découvert et touours maintenant au gré des relectures. Le côté farfelu de Forest s’y exprime à merveille, quant aux balises de Tardi, il est indéniable que ça ajoute une force supplémenataire à l’album. Le terrain est connu, plus qu’à se fader dix tonnes de texte, mais bon dieu c’ets hyper drôle et bien foutu !
Je pourrais presque bouder ce site juste pour cette chronique (ou pas).
Ah, enfin un commentaire outré ! Ben, moi ça ne m’a pas fait rire du tout, ça me déprime même. Ça dépend sûrement de sa culture…
Tardi et son univers , je trouve cela très chouette d’un point de vue graphique mais je n’arrive pas non plus a tenir la distance sur une histoire , je décroche assez rapidement aussi.
A chacuns ses affinités conscientes ou inconscientes avec les divers univers de papier :)
Ça demande des efforts, Tardi…
A la m^me époque il y avait le BRAN RUZ de Claude Auclair(et Deschamps)tout aussi…Euh…Bref.Je n’ai jamais fini le livre de Forest et Tardi,c’est assez con puisque j’avais aimé la moitié lue…Ce n’est quand m^me pas le meilleur Tardi graphiquement,et son travail actuel dont LE CRI DU PEUPLE et autres plaident généreusement pour son dessin extraordinaire…Par contre,si BLUTCH voulait bien dessiner et apporter sa vision de ce scénario de Forest…Tardi est un amoureux du feuilleton et son oeuvre souffre de l’abscence de périodique…Un effort,oui!Cela est pareil en musique,non ?
Mais il y a tellement de choses à voir :-)…
En même temps, ce chef d’œuvre était originalement fait pour être lu en feuilleton, une fois par mois dans (A Suivre). Les lecteurs de l’époque avaient le temps de reprendre leur respiration entre chaque longueur.
C’était quand même marqué ”roman graphique” pas ”feuilleton graphique” :-)
Bientôt sur vos écrans : Ici-même, avec Kad merad et Louise Bourgoin, adapté pour le cinéma par Tim Burton. Ah mais non, qu’est-ce que je raconte ?!
Assez bizarrement, je suis assez curieux du Adèle Blanc-Sec de Besson. Les scénarios d’Adèle, un peu foutraques, se prêtent bien à une adaptation complètement détournée je trouve.
Jeunet était plus approprié,non?Le fond est si rarement réussi dans les adaptations…
Oui, non, c’est le résultat qui compte :-)
J’aime bien quand ça cause un peu. Article et point de vue très intéressant au passage. Pour ma part, je trouve que ça fait du bien d’avoir des auteurs comme Tardi, Comès ou encore Forest. Je suis lassé d’une grosse partie de la production actuelle où l’on nous sert toujours la même soupe édulcorée. De la couleur vomissante,du pétillement case après case, du trop plein de manga merdique pour ado attardé, et j’en passe. Je ne dit pas que tout est à jeter au contraire, je parle d’une généralité éditoriale. Pour en revenir au sujet, c’est un peu comme Joann Sfar, il s’agit d’auteurs que l’on apprends à apprécier. L’effet n’est pas forcément immédiat. Il ont des personnalités, un discours et des choix. Ils fabriquent une oeuvre, livre après livre. Et j’aime cette réalité. Pour le reste, il n’y pas à chipoter, il s’agit c’est vrai de sensibilité et de culture personnelle.
@Le Fils Raymond : incroyable, je n’avais pas répondu à ce commentaire ! Je considère quand même Tardi comme plus important que Sfar mais les goûts et les couleurs…
Tiens c’est drôle, je n’ai gardé aucun souvenir du ”dézingage par Cornillon dans Métal” et de la réponse de Tardi… pourtant à l’époque où c’est sorti je dévorais avidement Métal ET A Suivre de la première à la dernière page et retour, même les entrefilets en petit caractères (il faut dire que je n’habitais pas à Saint-Malo, je n’avais pas accès à toutes les distractions qu’il doit y avoir là-bas). Et surtout c’était exactement le genre de truc qui m’intéressait : les bagarres. C’était bien ?
En revanche, là où on se rejoint, c’est que je n’ai jamais pu lire Le Secret de l’Étrangleur en entier… mais ça c’est parce que je n’ai jamais eu accès qu’à quelques fascicules dépareillés de la version ”journal” (entre-temps, la crise était passée par là). Il est sorti en album, non ?
@Tororo : oui oui, moi je l’ai lu en album. La bagarre a été rapide. Le pauvre Cornillon est persuadé que son dézingage (il y avait aussi Pratt dans le collimateur), qui était une espèce de blague potache, a lourdement pesé sur sa carrière. Si je retrouve le numéro du Métal, je le rajouterai dans ce billet.
À St Malo, moi j’avais le vélo, l’occupation de bouquiniste – un seul mais un bon -, la piscine aux vestiaires mixtes et le tabassage de mouettes.
@Li-An : Ah ! le danger des blagues potaches… à peine avais-je posté ma question que j’ai googlé ”secret de l’étrangleur” pour avoir la réponse, je me suis arrêté sur la page correspondante d’amazon et, intrigué par le nombre relativement élevé de commentaires négatifs, je les ai lus : on dirait que c’est précisément l’aspect ”blague potache” présent dans cette BD qui a hérissé un certain nombre de lecteurs, qui – c’est assez ironique – se présentent comme fans de Tardi et citent des exemples de ce à quoi un album de Tardi devrait selon eux ressembler… faut-il se retenir de faire des blagues ?
@Tororo : rien de pire que les fans. Pour moi, c’est un excellent Tardi – j’ai d’ailleurs abandonné l’idée de chroniquer un Burma parce que je ne trouvais rien à dire.
Bravo pour vos chroniques.
Ce n’était pas Cornillon, mais Philippe Manoeuvre, qui avait dézingué ”Ici Même” dans Métal, accusant bizarrement Tardi d’être ”rongé par la poudre” (l’album n’est pas vraiment cocaïné, pourtant…) S’en est suivi un droit de réponse en bonne et due forme par Tardi via son avocat, Me Henri Leclerc.
A part ça, ”Ici Même” est un chef d’oeuvre.
Merci pour la précision. Je dois avoir le Métal quelque part mais j’avoue que je n’ai pas vérifié. Je corrige.
Le ”Noir et Blanc cafardeux” c’est bien ce qui a fait que je n’ai jamais vraiment accroché à À Suivre malgré la qualité de nombre de ses séries, mais si je le retrouve dans ”Polonius” par exemple, je ne l’ai pas senti dans ”Ici Même”.
J’ai quand même été un peu déçu par l’album, qui ne va pas jusqu’au bout de son idée d’une loufoquerie poétique quand même un assez impressionnante.
Avec les albums sur son père on comprend un peu la misanthropie de Tardi, mais en fait malheureusement il n’en a pas fait grand-chose de bon, c’est dommage de la part d’un grand artiste.
Tardi, il n’est plus tout jeune. Je pense qu’il est un peu en roue libre dans ses planches, sans trop de recul sur son travail graphique et narratif. J’ai découvert un peu surpris qu’il avait illustré plusieurs romans de Manchette, mais au feuilletage, ça fait juste peur. Des textes, des textes, des textes.