On se rappelle le coup d’éclat de Jijé rendant visite aux étudiants de St Luc et sortant furieux à la vue de planches qui ne racontaient rien mais se contentaient d’expériences narratives et plastiques. Je me demande ce qu’il penserait de l’oeuvre de Lyonel Feininger.
Dans sa très spirituelle préface, Bill Blackbeard explique comment, en 1905, les responsables du Chicago Tribune décident de répondre à l’arrivée sur leur marché des journaux de l’empire Hearst en publiant leurs propres BD, pas les choses vulgaires et violentes dénoncées par les ligues de vertu et en vogue depuis peu à l’époque – mais une oeuvre artistique qu’il pourrait vendre aux autres magazines et qui attirerait tout un public d’origine germanique, cultivé et aisé, qui composait la bourgeoisie de Chicago à l’époque. Ils engagèrent pour l’occasion toute une bande d’humoristes allemands, les plus prisés de l’époque, dont Lyonel Feininger, né aux USA mais ayant fréquenté l’école allemande avant de repartir finir ses études en Allemagne. Feininger crée les Kin-der Kids – littéralement En-fants enfants – bande improbable de pseudo gamins partant dès la première planche en croisière dans une baignoire motorisée par un automate japonais (??). Ils sont vite poursuivis par leur tante qui veut leur faire boire de l’huile de castor. Il faut bien l’avouer, il n’y a pas vraiment d’histoire et les ”gags” rendront plus d’un lecteur perplexe… Mais, mais, mais. Le dessin est magnifique. Les personnages sont souvent réduits à une forme géométrique simple et un visage marquant, la mise en page est sophistiquée avec des cadres souvent changeant et travaillés, les cadrages sont toujours intéressants, en un mot, c’est fascinant à regarder. La série s’arrête rapidement une fois que le concept un peu fumeux se soit révélé un échec complet et l’oeuvre comics de Feininger tient en une cinquantaine de pages en comptant en plus Wee Willie Winkie’s World qui narre les visions d’un petit garçon qui voit des personnages dans tout (nuages, maisons, arbres…). Feininger va se tourner vers le marché de l’Art et ça va bien marcher pour lui, merci.
L’édition de Fantagraphics Books est soignée mais même le grand format doit être plus petit que les journaux de l’époque parce que le lettrage est particulièrement minuscule et il faut s’arracher les yeux pour lire les textes. J’ignore si la version française publiée par Pierre Horay en 1974 est mieux fichue ou pas.
Je ne peux pas m’empêcher de voir du De Créçy première manière là-dedans voire du Carlos Nine (mais plus dans Winkie avec ses énormes décors anthropomorphiques – confirmé dans les commentaires).
Bien vu pour Carlos Nine , Li-An , Feininger est très souvent cité par lui comme un de ses ”héros” …
La parenté est bien là , dans la recherche formelle, comme dans l’élégance du trait…
@Li-(ly)-an : je serai mauvaise langue, je pourrai ajouter ”et une certaine désinvolture dans l’histoire” :-). Sacré pseudo en tous les cas. Je suis en tous les cas contents d’avoir eu de l’oeil sur le coup.
La voilà la véritable découverte!Impressionnant de liberté(s);c’est une désinvolture grâcieuse…C’était vraiment pour les mômes tout ça ?
L’impression que Feininger est l’expression aboutie d’un âge d’or passager,profondement libre,avant que des yeux censeurs et raisonnables mettent fin à cette anarchie pour commencer,déjà,à se figurer un public,et lui voulant des profils nobles;des héros.(voilà une bien fantasmée interprétation…)
C’est d’une beauté exceptionnelle.A l’origine,ses parents l’avaient envoyé en Allemagne étudier la musique…
@julien : malheureusement, je crains bien que la ”censure” ici ait été commerciale. Les gens préféraient des gags simples avec des tartes dans la tête. J’imagine que s’il avait réalisé de vraies histoires, son destin aurait peut-être différent. En même temps, Herriman est tout aussi foufou – mais mieux construit dans ses personnages.
Breccia et ses cauchemars,Buscavidas,ne sont pas loin :http://chamberart.net/en//view/35048-Lyonel%20Feininger%20(6).html/
@julien : ah oui, il y a un côté Breccia. J’ai croisé quelques toiles de Feininger sans accrocher mais celle-là est étrange dans son éclairage.
Moi je vois surtout du McCay !
@Totoche Tannenen : ça arrive juste après McCay donc il doit y avoir de l’influence mais toutes les thématiques visuelles et conceptuelles sont absentes – perspective, onirisme… Le seul point commun, c’est l’étrangeté des personnages mais c’est assez courant dans les comics de l’époque.
Cher Li-An ,
Je ne sais pas si vous avez des enfants , mais pour ma part je trouve Feininger très ludique pour eux ! Je ne vous conseillerai que trop d’aller jeter un oeil curieux sur le ouèb du côté d’un autre livre de l’artiste : ” Lyonel Feininger , City at the edge of the world ” … depuis mon fils construit des petits villages cocasses tout partout !!! . Bien à vous .
@Tailleriz : je vais y jeter un oeil. J’ai un fiston – très grand maintenant – et qui n’a jamais été très constructeur :-(
Hello,
L’édition américaine que je connais n’est pas chez Fantagraphics mais chez Kitchen Sink Press…
Concernant la réaction de Jijé, est-ce que les étudiants manifestaient le même talent que FEININGER ?
https://en.m.wikipedia.org/wiki/The_Kin-der-Kids
Ah ah, je pense qu’ils dessinaient ligne claire réaliste un peu déprimée.
Autant pour moi, il existe bien une édition Fantagraphics Books de 2007, celle de Kitchen Sink Press datant de 1994. Il y a aussi Dover publications qui a fait une version.
Les couleurs de la couv de la version Kitchen Sink sont un peu étranges.