Si la période actuelle peut être considérée comme un Âge d’Or, c’est bien celui de la réédition. En prenant un peu de hauteur, la BD a besoin de se pencher sur ses classiques et on assiste à une pléiade de rééditions de Grands Anciens.
Milton Caniff est considéré comme un des auteurs les plus importants des États-Unis et The Library of American Comics fait un travail magnifique en rééditant l’intégrale de Terry et les Pirates, la série qui a rendu Caniff célèbre dans son pays. Chaque très gros volume (344 pages pour celui-ci) reprend l’intégralité des strips noir et blanc et couleurs de deux années et ajoute un dossier sur le travail de Caniff à l’époque en début de volume.
Il faut savoir que les quotidiens publiaient six strips noir et blanc et une ”demi planche” couleur le dimanche. Ce qui demandait un travail de Romain. Ça s’en ressent à la lecture du livre : conçue pour une lecture rapide quotidienne, les découvrir à la suite dans un recueil n’est pas une mince affaire. Chaque strip commence en général par une case résumé de l’action et les personnages commentent beaucoup ce qui s’est passé d’où l’impression d’un surplace un peu frustrant. De temps en temps, le récit a des accélérations au moment des scènes d’action, certains strips font un gag en une bande et Caniff sait ménager des pauses dans les moments dramatiques. La planche couleur peut être tout aussi frustrante : Caniff pensait à ceux qui ne lisaient la série que le dimanche et on a droit quelquefois à un immense résumé où il ne se passe rien de nouveau… Ben alors, ça vaut le coup de lire ça ou pas ? Caniff est connu pour la qualité de ses personnages et de ce côté-là, on n’est pas déçu. Terry, le jeune héros traverse la Chine en pré seconde Guerre Mondiale, croisant une foultitude de caractères haut en couleurs. Méchants nazis alliés des Japonais, grandes gueules burinées, excentriques résistants, clowns chinois et surtout demoiselles à la forte personnalité. Caniff adore dessiner des jeunes femmes et les habiller. Qu’elles soient ingénues, délurées, séductrices ou mariées, elles ont droit à une garde robe soignée et des rôles de premier plan. Ce pauvre Terry, ado américain dynamique, tombe régulièrement amoureux et a du mal à concrétiser.
On pourrait comparer ça au Lotus Bleu d’ Hergé qui se déroule à la même période. Alors que Tintin est destiné aux jeunes garçons et qu’il ne croise aucune aventurière sexy, il a le mérite par contre de présenter l’aspect politique de l’époque et une vision bien plus crédible de la Chine (grâce à Tchang). Caniff utilise le concept comme décor d’aventures héroïques et sentimentales même s’il ne néglige pas les causes et les conséquences du conflit (populations civiles déplacées, absence de légitimité des occupants…). Mais sa Chine manque un peu de conviction : architecture suggérée, figurants fantomatiques et monotonie des paysages permettent au dessinateur d’avancer vite et bien.
Parce qu’évidemment, le dessin de Caniff est une des principales raisons de cet achat. J’avais déjà acquis le fameux Male Call publié chez Futuropolis et qui traite une période postérieure. Je voulais retrouver ces aplats noirs qui n’apparaissent pas au début des aventures de Terry (cf. aussi le billet sur le travail de Sickles [ici]). De ce point de vue là, je ne suis pas déçu. Même s’il y a des périodes moins bien tenues (travail d’un assistant ?), l’ensemble est très beau et j’ai souvent été déçu par les couleurs des planches du dimanche qui manquaient de puissance graphique.
J’ai choisi pour vous une séquence où le talent de Caniff est frappant. Après quelques péripéties, Terry est jeté en prison et découvre la présence de Burma. C’est vraiment magnifiquement écrit et réalisé. On remarquera au passage que Burma est un personnage déjà croisé. Caniff, sur la longueur, fait réapparaitre des personnages marquants au grand plaisir des lecteurs assidus mais j’avoue que le lecteur ponctuel comme moi perd en richesse des personnages. Cette fameuse Burma est une fille de mauvaise vie qui porte un moment une chemise ouverte jusqu’au nombril sans rien dessous. J’ignore si c’était une tenue visible dans les rues de New York ou Los Angeles de l’époque ???
Il m’apparait de plus en plus qu’une seule page de Milton Caniff est une leçon;mélange habile de rigueur,d’enthousiasme,et où la subtilité,la virtuosité nait inévitablement de ce rythme sans sacrifier le récit.Bon,c’est pas trés original tout ça mais c’est vrai que c’est une claque la ”grammaire” graphique de Caniff.Est-ce que ça impressionnerait les plus jeunes..?Je n’oublie pas le successeur de Caniff,Georges Wunder,par trop souvent méprisé ou ignoré;Allez,hop,le cri du porte-monnaie va euh,rugir.
Après la série ”Pin up” de Yann et Berthet, cette réédition va certainement en allécher plus d’un, qui ne connaîtrait pas encore notamment (Est-ce possible?) Caniff. Pour ma part, n’ayant que deux malheureuses aventures de Steve Canyon ”en magasin”, je sens que je vais craquer sous peu… (Le prix est-il très prohibitif ? Mais qu’importe, le travail du maître mérite qu’on fasse des efforts) La couleur ne profite pas trop aux strips. L’habitude de ne voir Milton qu’en noir et blanc et pas autrement je suppose. Revoilà le vieux débat noir et blanc /couleur relancé :-)
Li-An, je crois voir une erreur d’années dans ton titre ;-)
C’est corrigé Papy :-) Le prix est tout à fait abordable en passant par Amzon. Le poids est un autre problème :-) Il doit y avoir beaucoup de monde en France qui ne connait pas son travail vu que les Futuro ne vont que jusqu’aux années 38 si je ne m’abuse.
@Julien : je préviens les amateurs : lecture ardue !
Tu as fini par craquer !
Personnellement, je ne me fade pas tout, préférant piocher dedans au hasard.
Sinon, j’apprends à encrer avec Milton Caniff (fastoche !) sur l’excellent blog Peripecias de Chiquirritipis :
http://chiquirritipis.blogspot.com/2010/01/milton-caniff-y-los-pasos-para-dibujar.html
Merci pour le lien Totoche. Ah, c’est encré bien propre.
Comment vous faites les aminches pour envoyer des posts à 19h21 et 19h36 alors que je les lis à 18h 55 ?
Ah c’est trop ! Moi aussi je voyage dans le temps!!!!!!!!!!!!
Burma est une brave fille, même si elle a parfois de mauvaises fréquentations. ;-)
Sinon, sa première apparition se fait en 1935, dans le deuxième des 4 albums publiés par Slatkine, et je crois que ces livres ne sont pas difficiles à trouver.
Le blog doit être à l’heure d’été, je vais voir ça. Ben on la trouve aussi dans cette version mais je n’ai pas tout acheté :-)
Tant qu’on est dans les antiquités, tu ne veux pas nous parler un peu de Popeye ?
Ben, j’ai fait un dessin parce que le personnage me plaît bien (surtout Gontran et ses hamburgers) mais je n’ai aucune connaissance particulière de la BD.
Merci à Totoche pour le lien,qui est une sainte humiliation;giflé à coups de pinceaux,nets,précis,justes et élégants…Gontran et SES PATéS!!!(oh joies des traductions antiques)
Du bon pâté dans du pain…
Curiosité de cette ”leçon” d’encrage de Caniff:S’ils aboutissent à un résultat trés différent et tous deux d’une éblouissante beauté(applats,encre de chine pour l’un;effets de matière pour l’autre)je note une démarche trés proche(partir d’un crayonné sage,presque terne et grossier,puis cernant froidement et sans grand relief au trait noir)entre M.Caniff et Emmanuel Guibert(principalement ”La guerre d’Alan”).Toujours justes et dans le bon…
Et pour revenir sur Caniff,certaines de ces images restent gravées dans cette vieille cervelle qu’est la mienne(Alors que Popeye,pas du tout.Y a pas un collectif sur HAGAR THE HORRIBLE plutot..?)
Sauf que je ne suis pas un grand fan du dessin de Guibert :-)
@Julien :
Hägar n’est pas encore tombé dans le domaine public, contrairement à Popeye.
En revanche Titan Books sort une intégrale, façon Peanuts :
J’avoue que ça me titille…
Quelqu’un sait si une traduction en français est programmée ?
@Li-An : Tu as vu : IDW Publishing sort aussi les Rip Kirby d’Alex Raymond dans la même collection.
@Julien : A défaut d’Hägar, je t’ai trouvé un collectif Spirit tout chaud. Comme pour Popeye, c’est l’excellent Thierry Martin qui signe la couverture.
http://philcordier.blogspot.com/2009/11/le-spiritest-la.html
Oula, le retour du Totoche en pleine forme (même s’il fréquente des forums avec des éphèbes dedans). Pas super fan de Raymond. C’est bien ce collectif The Spirit ? Ça donne quand même envie. Et je ne sais rien d’une traduction d’Hägar (du Nord).
Pour les accros,on trouve encore quelques albums d’HAGAR DU NORD chez Dargaud(3 ou 4)réédités en poche il y a 20 ans(J’ai lu ou Presse pocket,j’sais plus)…Et un recueil aux éditions du Fromage(Aaah!Les éditions du fromage!).Alex raymond est à redécouvrir,son parcours est intéressant,son oeuvre sait etre admirable loin de son image ”académique”.
Beati pauperes in spiritu.
(le plus dur est de s’épiler, ensuite on s’y fait)
Tu as bu quoi (je n’ai pas capté toutes les subtilités, là…).
Waouh!(comme aurait dit Lefranc avec Jacques Martin, paix à son âme)Caniff était comme moi, gaucher (Bon, c’est sans doute le seul point commun :-( …), voir ici :
La photo ne serait pas à l’envers des fois?! Je vais y retourner voir de plus près. Et avec Poison Ivy de Berthet-Yann, il est droitier ? Sinon ils vont devoir tout recommencer !
Ben non, le Time est dans le bon sens. C’est connu ça, sa gauchitude ? (Bonjour Ségolène)
Il y a une bio sur Caniff de sortie en anglais. Tu peux aller y jeter un oeil. Quant à Berthet, il n’avait même pas lu Male Call, alors…
Cette édition va être adaptée en français :
Excellente nouvelle, Totoche !
Merci Totoche !
http://4.bp.blogspot.com/-bOxG_qrEGmM/TzrJQ_mnvNI/AAAAAAAABk0/YeNeia0rZSU/s1600/Eduard-Thony.jpeg
En flirtant du côté d’un entretien qui louangeait Caniff,j’ai lu la conversation glisser vers Noel Sickles(”Evidemment”)et un autre affluent:l’Allemand Eduard Thony(1866 – 1950).Connu au bataillon ?
@julien : on voit de fort belles images de cet artiste sur le Web mais je ne vois pas trop le rapport avec Caniff en effet. D’un autre côté, on n’est pas dans sa tête :-)