Retrouvez la première partie de cette interview ici !
L’interview – seconde partie
Une grande partie de l’originalité de Cité, c’est le mélange détonnant d’humains, de personnages animaliers et d’extra-terrestres. D’où vient cette idée ? On découvre pourquoi les ET vivent dans Cité mais pas les animaux. Ce sera expliqué ?
RR – Avant de débuter, Pierre m’avait demandé ce que j’avais envie de dessiner. Je lui avais fait un genre de liste qui correspondait aux dessins perdus que je faisais pour moi, polar, animaux, humour un peu loufoque, super-héros, ambiance urbaine…
Je n’avais pas imaginé qu’il aurait TOUT mis.
PG – Concernant les animaux costumés, pour nous c’est intéressant qu’il soit sous-entendu qu’ils ne sont pas exactement sur le même plan que les humains. Qu’à un moment, il y a eu une mutation ou un choix, que certains animaux regrettent plus ou moins ce choix (les néo-naturals des serres) que d’autres animaux restent des animaux (le serpent d’Hector, la souris d’Hoyerdinsk) et que même les véritables convertis gardent des caractéristiques animales (les taupes sont myopes, les crapauds ont beaucoup d’enfants qui ne leur ressemblent pas). C’est possible qu’un jour, cette mutation soit racontée mais il faudra pour cela que nous trouvions une explication vraiment intéressante, sinon autant garder le mystère.
Cité 14 a une base film noir années 40. D’où vient ce choix ? Et pourquoi l’avoir enrichi et développé à ce point ? On a un peu l’impression que vous avez voulu mettre tous les genres : polar, SF, fantastique (avec le personnage de la medium).
RR – Je crois qu’il n’y a pas vraiment de volonté réelle de « mélange ». C’est juste cohérent dans l’univers de Cité 14 tel qu’il s’est développé.
”Pour ma part, c’est ce « mélange » qui est excitant. Faire juste un polar, ou juste une histoire de science fiction, ou juste une aventure avec des animaux costumés ne m’aurait pas spécialement emballé…” PG – Pour ma part, c’est ce « mélange » qui est excitant. Faire juste un polar, ou juste une histoire de science fiction, ou juste une aventure avec des animaux costumés ne m’aurait pas spécialement emballé. Tout mélanger et que l’ensemble tienne debout, j’adore.
Les personnages ont tous un parcours très dur et semblent expier leurs fautes passées (le pompon pour le journaliste qui prend dérouillées sur dérouillées).
PG – L’explication la plus vraisemblable est que je suis un peu sadique. Malgré tout, je suis conscient d’y être allé un peu fort avec Hector et je le regrette un peu (notamment parce que son œil en moins lui enlève de l’expression). La fin de la saison 2 sera plus apaisée. Ceci dit, pour que le lecteur éprouve un minimum de crainte pour les personnages, il faut qu’il pense les auteurs capables de leur faire subir des misères pour de bon… Le côté « je mets une éraflure de temps en temps dans le gras de la jambe de mon héros mais pas plus » n’aide pas à rentrer pour de bon dans l’histoire.
Cité 14 fonctionne un peu comme des poupées russes : l’univers (comprenant les étoiles et les ET), la planète où se situe Cité 14 (la Terre ?), Cité 14 elle-même, la tour Bambell, la réserve/serre…
PG – C’est pas faux… Je ne dirai pas que c’est conscient de ma part mais c’est juste. L’image me plaît bien et l’idée qu’on s’intéresse parfois à un problème un peu général et d’autres fois à des petites choses futiles reflète bien la série aussi.
Comment fonctionne votre collaboration, comment vous êtes vous rencontrés ? Est-ce que Reutimann influence le scénario ?
PG – Nous nous sommes rencontrés en 1997 me semble-t-il grâce à Nathalie, la compagne de Romuald. C’était à l’occasion d’une de ses expositions (des dessins très réalistes à la craies sur les murs des sous-sols du musée de Cherbourg). A l’époque, je lui ai proposé divers petits scénarios en essayant de suivre ses envies mais mon travail ne l’a pas vraiment emballé. J’ai retenté ma chance en 2003 en lui envoyant le scénario de Valbert qu’il a bien voulu dessiner. Depuis, nous avons du faire une bonne quinzaine de projets ensemble. Pour Cité 14 comme pour nos autres séries, j’écris tout. Par contre pour cette série plus que pour la plupart des autres, Romuald joue un rôle important de donneur d’idées (on peut citer par exemple les serres et les néo-naturals ou bien Krapal la crapule et le gang des frères têtards…). Après, j’en fait ce que je veux et je lui ressers souvent le tout modifié alors qu’il ne s’en souvient plus.
Le style du dessin est parfaitement défini dès le début de l’histoire. Est-ce que c’est venu
naturellement, est-ce qu’il y a eu un travail préliminaire ?
RR – Ce dessin est vraiment venu naturellement. Au départ, notre véritable soucis, c’était de savoir si nous étions capables de produire un épisode de 22 pages par mois. Ensuite le dessin s’est équilibré entre ce que je suis capable de dessiner, la nécessité d’un certain niveau de détails, une certaine esthétique, mon courage et le temps imposé pour sortir la page.
Tu expliques sur le blog que tu réalises les planches entièrement à la palette. Quel logiciel utilises-tu ? Comment en es-tu arrivé là ?
RR – Au départ, pour notre premier album, Valbert, j’avais commencé sur papier, au stylo. Je scannais la page pour faire les corrections à la tablette sous Photoshop, et au bout d’un moment, je passais tellement de temps à faire ces retouches que je me suis dit que je ferais tout aussi bien de faire ça à la tablette directement. Ce que j’ai fait.
Et heureusement d’ailleurs, parce que nous changeons tellement de choses sur les pages avant de les envoyer que je n’imagine même pas comment font les autres dessinateurs sans cet outil !
Pour le lecteur, il y a eu trois années d’attente. Comment avez-vous géré cette période ? Est-ce qu’il n’aurait pas été plus simple de passer à un autre projet ? Comment attaquez-vous cette nouvelle saison ? Est-ce qu’il est déjà prévu une troisième saison ?
RR – Cette période a été assez difficile puisque pendant près d’un an et demi nous ne savions pas si Paquet allait faire la saison 2 ou pas. Dans l’espoir que la situation se débloque nous avions commencé doucement la saison 2 et puis ne voyant rien venir nous avons développé d’autres projets sans le moindre succès. Ensuite j’ai rencontré Jerry Frissen par l’intermédiaire de Gobi rencontré dans un festival. Jerry m’a proposé de reprendre la série des Luchadoritos que dessinait Hervé Tanquerelle dans Lucha Libre. Peu après, les Humanos se sont montrés intéressés par la reprise de Cité 14 et ont entamés des négociations avec Paquet.
”Toutes ces péripéties nous ont un peu échaudés et nous avons donc décidé de boucler toutes les intrigues à la fin de la saison 2…”” PG – Toutes ces péripéties nous ont un peu échaudés et nous avons donc décidé de boucler toutes les intrigues à la fin de la saison 2. Ceci dit les Humanoïdes Associés semblent croire beaucoup à la série et sont a priori d’accords pour une saison 3 (dont nous avons en grande partie la matière). Avant de la commencer, il est bien possible qu’on fasse une mini-saison sur le commandant Bigoodee et ses sœurs.
Quelles BD lisez-vous en ce moment ?
PG – En ce qui concerne mes derniers achats que j’ai bien aimés : pour les BD franco-belges jeunesse, je suis fan du Royaume (Benoit Feroumont) et les Épatantes aventures de Jules d’Émile Bravo. Pour le comics Y – le dernier homme (Brian K. Vaughan & Pia Guerra) m’a beaucoup plu. Pour la bd un peu intello-branché Rébetiko (David Prudhomme) me semble un très bon album. Pour le mainstream 46 planches couleur j’ai lu avec plaisir Hollywood de Jack Manini et Marc Malès. Et enfin dans un genre dont je ne raffole pourtant pas en BD, j’ai lu deux autobiographies qui m’ont bien plu : L’art de voler (Antonio Altarriba & Kim) et Une vie chinoise (Ôtié & Li Kunwu)… Mais j’oublie sans doute des choses.
RR – En ce moment je lis, dans des genres très différents Soil de Atsushi Kaneko, Run Day Burst de Yûkô Osada (en même temps que mon môme de dix ans), La plaine du Kanto de Zuo Kamigura, Sublife de John Pham chez Cambourakis, le dernier Jules de Bravo, le dernier Schrauwen (ce type m’épate toujours) – Le miroir de Mowgli – un album muet qui me donne envie de dessiner et de raconter. Son précédent, L’homme qui avait la barbe qui poussait était incroyable aussi. Quand je lis ce type je me dis que, décidément, tout reste à faire…Il utilise à merveille les codes de la bande-dessinée pour faire quelque chose d’unique et j’adore ça.
J’aime beaucoup Ruppert et Mulot aussi. Avec moi ça marche à chaque fois.
J’avais adoré, le Taxista de Marti qui était sorti chez Cornélius il y a bien deux ans (mais en fait ça date des années 80)… Un truc énorme pour moi dans le genre feuilleton noir entre Dan Clowes et Chester Gould.…
Je suis également la réédition des Peanuts de Schultz…
Difficile d’isoler un genre…
100 bullets (Risso & Azzarelo) aussi j’aime beaucoup..
Compléments
Romuald Reutimann anime un atelier artistique, l’atelier de la Passerelle, destiné à des adultes déficients mentaux. Retrouvez le site de l’atelier ici : http://lapasserelle-acais.blogspot.com/
Il travaille aussi sur de nombreux projets ‑surtout pour le plaisir de créer et pour la recherche semble-t-il- et m’a gentiment autorisé à publier une planche de son travail personnel.
Encore merci à tous les deux pour avoir accepté cette interview…
Dense,riche,copieux(J’ai un dictionnaire de synonymes);un régal cet entretien.
@julien : j’aime bien quand c’est nourrissant.
Il faut que j’arrête de lire ce blog passionnant. Non seulement j’y passe des heures depuis que je l’ai découvert, mais je me ruine aussi en rachetant tous ces albums que j’ai raté. Damned, le Professeur Li aura ma peau.
@Olivier R : et encore tu ne connais pas son maléfique frère An.