Jeffrey Catherine Jones est morte le mardi 19 mai 2011 à 4h du matin d’emphysème, bronchite et durcissement des artères autour du coeur. Elle était extrêmement faible, frêle, fragile et avait demandé à ne pas être réanimée.
Né Jeffrey Durwood Jones le 10 janvier 1944 à Atlanta, Géorgie, il a vécu une enfance tranquille dans une grande et vieille maison, entouré d’une grande famille, surtout des femmes. Revoir Autant en emporte le vent pour l’ambiance. Plutôt solitaire, il aime les arts, le dessin (qu’il associe souvent au texte), la physique (il fabrique et fait voler des fusées artisanales), la géologie. Il rencontre Mary Louise « Weezie » (= Loulou) Alexander à l’université d’état de Georgie où il suit des études de physique et de géologie. Elle y étudie l’anglais et l’art, matière qu’il choisit en milieu de parcours. Il l’épouse en été 1966, ils ont une fille, Julianna, en juillet 1967, mais entre temps ils ont laissé tomber leurs études pour s’installer à New York, où ils fréquentent assidûment un petit groupe de passionnés de comics qui, sous l’égide de l’érudit John Benson, se réunissent tous les premiers mardis, puis les premiers vendredi du mois d’octobre 1966 à juillet 1971, chez Roy Thomas, Bill Pearson et chez eux la dernière année . Ils divorceront en 1972. Elle gardera son nom même jusqu’à son mariage avec Walt Simonson en 1980, et un peu au delà, mais ceci est une autre histoire…
Il envoie des dessins, récits complets, couvertures à des fanzines, prozines, artzines, revues de SF et de fantastique (Fantasy Illustrated, Witzend, Fantastic, Amazing Stories, ERB-dom, Witchcraft & Sorcery, Gamut, Phase, Nozdrovia, Word Balloon, etc) dès 1964, dit-on, bien que je n’ai rien trouvé de paru cette année là… Il dessine quelques histoires courtes, éparpillées chez des petits éditeurs : Monsters and Heroes (M & H Publications), Creepy, Eerie (Warren), Boris Karloff Tales of Mystery (Gold Key), Flash Gordon (Charlton), Mandrake the magician (King), collabore au magazine porno SCREW et à la feuille underground EVO (East Village Other), dit-il – là non plus je n’ai rien trouvé – etc. Et surtout, il peint, sur commande, pour faire bouillir la marmite, au début, puis par plaisir, plus de 150 couvertures de livres, surtout de poche, de 1967 à 1978 (dont plus des deux tiers en 1968 – 70), principalement pour des romans de Science-Fiction et d’Heroic Fantasy (Fantastique) pour ERB, LANCER, BELMONT, ACE, AWARD, CENTAUR, DELL, PAPERBACK, PYRAMID, AVON, BERKLEY, TOWER, FAWCETT, MacFADDEN, POPULAR, ZEBRA, et aussi des dizaines d’illustrations intérieures pour les digest Amazing et Fantastic de 1967 à 1975.. Il est indéniable que le succès commercial tout récent des couvertures de Frazetta pour les Tarzan d’ E.R. Burroughs et les Conan de R.E. Howard lui a ouvert la voie d’un marché florissant.
De janvier 1972 à août 1975, retiré depuis juillet 1971 dans une petite maison aux environs de Woodstock, il dessine une page mensuelle intitulée Idyl pour le magazine satirique National Lampoon (45 pages en tout) et deux pages couleur par mois, Jones Touch (14 p. en tout), pour Swank, magazine pour hommes, de mai à novembre 1972. Fin 1972 il dessine deux couvertures pour Wonder Woman (DC)… mais sans Wonder Woman ! En 1974 il dessine encore quelques RC pour Vampirella (Warren), parfois en collaboration avec Bernie Wrightson. En 1975 il emménage dans un immense loft situé dans West 26th street, dans le quartier de Chelsea (New York City) en compagnie de Bernie Wrightson, Barry Windsor-Smith et Mike Kaluta : ils peignent de gigantesques toiles dont ils commercialisent les reproductions sous forme de superbes posters numérotés signés. Cohabitation artistiquement fructueuse, cette émulation permanente jusqu’en 1979, est contée dans un superbe album, The Studio (Dragon ‘s Dream, 1979), facilement trouvable en Europe à l’époque, car Dragon’s Dream est un éditeur hollandais.
Puis il retourne à Bear Mountain et de septembre 1981 à juillet 1984 il dessine une page par mois, I’m Age, pour le magazine Heavy Metal (35 p. en tout), et publie encore un court RC chez Pacific Comics en 1982. Installé dans un mobil-home à Saugerties, petite communauté rurale à 100 km au nord de New York il s’éloigne définitivement de la bande dessinée au profit de la peinture, la sculpture, la photographie.
De son propre aveu, bien que né biologiquement garçon, Jeff Jones s’est toujours senti fille. Dans le Sud des USA, au milieu du XXe siècle, c’était tellement inconcevable que l’idée même fut longtemps refoulée, bien que très tôt visible dans ses bandes dessinées. En 1998 il commence un traitement hormonal pour se transformer en femme, mais ne finalise pas chirurgicalement, et modifie son nom en Catherine Jeffrey Jones, mais néglige d’officialiser. Sa deuxième épouse, Maryellen McMurray Jones, le quitte, son mécène depuis 1980 le laisse tomber, et Jones fait une dépression nerveuse en 2001, perdant la presque totalité de ses biens. Avec l’aide de ses nombreux amis, amies et admirateurs elle remonte doucement la pente et dès 2004 recommence à prendre contact avec la communauté de la bande dessinée, créant un très beau site web (http://www.jeffreyjonesart.com) et une adresse facebook, pour rester en contact constant avec ses nombreux admirateurs (4000 amis).
Souvent comparés (à tort) à ceux de Frazetta, qui l’admirait, ses tableaux sont plus proches du style de NC Wyeth, Howard Pyle, et des peintres romantiques de la fin du XIXe siècle, Dante Gabriel Rossetti, John W. Waterhouse et les pré-raphaelites, Jesse McNeill Whistler.
En résumé, une carrière dans la bande dessinée quantitativement peu importante (une quarantaine de RC entre 1967 et 1984, plus trois brèves séries plus personnelles en 1972, 1972 – 75 et 1981 – 84), dans des publications peu fréquentées par les amateurs de comic books, certes, mais une esthétique profondément originale, et une influence picturale marquante sur des auteurs comme John J.Muth, George Pratt, Kent Williams, etc.
En France quelques unes de ses bandes dessinées sont parues, surtout grâce à Fershid Barusha, d’abord dans un bel album 30x40, JONES (Futuropolis, 1976), ainsi que dans Les bandes dessinées fantastiques de Jeff Jones (éd. du Triton, 1979). Dans la presse, Eerie n°3,6, Creepy n°3, 27, et Vampirella n°2,4,21 (Publicness) de 1969 à 1974 et L’Echo des Savanes Spécial USA n°1 à 16 et 23,25(1976 – 83) ainsi que Spécial USA de 1983 à 1986 ont repris quelques superbes couvertures et pas mal de RC.
Aux Etats-Unis il existe seulement trois petits comix : SPASM (Last Gasp, 1973), qui présente des RC inédits, , RAVENS & RAINBOWS (Pacific Comics, 1983) qui reprend des RC en couleurs, surtout les planches Jones Touch de Swank, et JONES TOUCH (Eros/Fantagraphics, 1993) qui reprend toutes les planches de Jones Touch, mais en noir et gris baveux. Deux beaux albums ont rassemblé la totalité des 45 planches d’Idyl, en grand format chez Blue Star en 1975, et en plus petit chez Dragon’s Dream en 1979. Quelques livres d’art reproduisent des croquis, couvertures de livres de poches, posters, tableaux et sérigraphies : The Studio (Dragon’s Dream, 1979), Yesterday’s Lily (Dragon’s Dream, 1980, le meilleur), Age of Innocence (Underwood, 1994), The art of Jeffrey Jones (Underwood, 2002), Jeffrey Jones : sketches (Vanguard, 2007) et Jeffrey Jones, a life in art (IDW/Desperado, 2011). Hélas tous ces bouquins sont épuisés, même celui qui vient de sortir, ce qui est fréquent pour un artiste qui vient de décéder, mais frustrant ! Il semble néanmoins qu’il existe un vague projet d’album rassemblant toutes les pages d’Idyl et de I’m Age…À suivre…
On peut trouver la totalité des planches d’ IDYL sur le site http://comic-historietas.blogspot.com/2009/10/los-que-huyeron-del-comic-2-jeff-jones.html et la totalité des planches de I’M AGE sur le site http://www.raggedclaws.com/home/2008/10/10/look-here-im-age-by-jeffrey-jones-part-one/ et les quatre suivants, évidemment. Le site personnel de Jeff Jones, est une pure merveille : 72 galleries de 2 à 4 tableaux, 28 galeries de 2 à 5 dessins, souvenirs, etc…
Un film documentaire par Maria Cabardo Better things, life and choices of Jeffrey Jones était presque fini au moment de sa mort et des extraits en ont été présentés à la Comic Con de San Diego le 21 juillet 2011.
Jacques Dutrey août 2011 – 1/3 – 2/3 –
3/3