Comme promis hier, voici le texte de trois pages de Mozezli publié dans le Cri du Margouillat n°8, illustré Boby.
Le cafard : un mammifère bien sympathique
Si notre ami margouillat court au plafond. L’ami cafard, lui rampe. Et par terre. Il y en a qui disent qu’ils l’ont vu voler. Injustice ? Non. Car les choses étant ce qu’ elles sont et le monde ce que nous savons de Marseille, il suffirait que tout devienne différent pour que rien ne soit déjà plus pareil. L’injustice n’est pas dans l’ordre naturel des choses. L’injustice est en nous-mêmes.
Ainsi :
Le CAFARD est le symbole en chair et en os des victimes du racisme. De l’intolérance. De l’oppression. De la répression aveugle. Et de toutes ces sortes de choses.
Penchons-nous sur son cas en essayant d’adopter un point de vue objectif en considérant la question sous ses divers aspects. Le cafard ne griffe pas comme le chat. Il ne mord pas comme le chien. Dépourvu de dard ou d’un quelconque aiguillon, il ne pique pas, telle l’abeille ou l’infirmière. Il ne pue pas, même quand il fait caca : essayez donc d’en faire autant. Il ne fait pas de bruit. Bien que classé dans la même famille que l’amanite phalloïde, il n’est nullement vénéneux. Le cafard est bien souvent confondu avec le scorpion par des myopes ou par des ignards particulièrement abrutis mais qu’on se rassure, il n’est absolument pas venimeux. A la différence des sauterelles ou des cégétistes, il ne se déplace pas en nuées ; n’étant pas soumis à l’instinct de la Plaine des Grègues, il ne représente donc aucun danger pour le secteur primaire. Il ne charge pas : même furieux il ravale sa colère car il la sait mauvaise conseillère.
Le Cafard est générateur d’emplois. On ne compte plus les entreprises spécialisées dans sa destruction. Boris Vian a dit :« aucune guerre n’a été vraiment réussie. La preuve, il y a encore des survivants ». Il semblerait donc que ces entreprises ne sont pas aussi efficaces qu’elles le disent dans la mesure où chaque cafard reste extrêmement nombreux. L’autre hypothèse, plus crédible est que ces tueurs élèvent clandestinement le cancrelat. Nous pensons que cela est une bonne chose, créant ainsi un juste équilibre face au génocide injustice qui frappe la race.
Un autre point capital : à l’inverse du clou rouillé dont la morsure peut inoculer le vomito- négro ou l’hypertrophie de la prostate, le cafard n’est pas, ou négligemment peu, vecteur de maladies.
Justement, à ce propos, on a souvent tendance, en raison simplement de leur biosphère commune, à associer le cafard à un autre crustacé : le rat. C’est là une combinaison quelque peu hâtive et irréfléchie, car le premier est tout à fait le vice-versa du second. Autant le rat est rusé et intelligent, comme l’a si bien démontré Reiser, autant le cafard est con. Mais con ! Plus con que lui tu meurs. Cela n’est en rien pure invention : il suffit, pour s’en convaincre, de consacrer une petite demie-heure a l’observation du comportement d’un cafard : file tout droit…vire à gauche…puis à droite…revient sur ses pas…une pause…agite ses antennes… se frotte les pattes… n’ importe quoi, n’ import’où. En dépit du bon sens. Tiens ! Il va s’offrir une vue aérienne ! Le cafard au décollage… Émouvant. Émouvant car il n’est pas sans évoquer ces merveilleux fous volants dans leurs vieux coucous déglingués. Les préparatifs vont bon train : Entrouvre ses élytres… déploie ses ailes membraneuses… Appelle la tour de self-contrôle… fait sémaphore avec ses antennes. sonde l’atmosphère… l’horizon est dégagé, la piste d’envol est libre… se dresse sur ses pattes arrière… merde ! oublié le plan de vol ! comme d’habitude…pas grave… Roger ! paré au décollage ! Eeeeeeet hop ! Pour une fois. ça a marché ! Traversée en solitaire du living-room. Dans un gribouillis d’arabesques folles, le cafard évolue. Enfin, évolue. c’est un bien grand mot. car intrinsèquement. le cafard n’évolue plus. En général, ça ne dure pas. Vrrroaaaooom ! Et PAF ! En plein dans le poteau. Il n’y en a qu’un. mais c’est pour lui. Mayday ! Le crash est sévère. Si les secours n’arrivent pas dans l’heure, c’en est fini. L’appareil est retourné, le train d’atterrissage en l’air. Curieusement, le cancrelat est à peine moins rigide qu’une tortue : d’ordinaire. la position ”couché” est pour lui synonyme de derniers sacrements. Pitoyable. on le découvre au matin, dans les derniers soubresauts de l’agonie, essayant d’attraper les nuages de ses petites pattes cuivrées, alors que la prédatrice fourmi commence déjà à lui dévorer les entrailles a vif. Et tout ça rien que parce qu’il est con. Un inoffensif connard, voilà ce que c’est, un cafard.
Et en plus. le cafard est parfaitement légal.
Pourtant. malgré cela, nous abordons les frontières de l’irrationnel lorsque nous nous penchons sur le comportement du commun. du vulgum pecus, face à ce petit ornithoptère noctambule nyctalope à feuilles vernaculaires et persistantes. Prenons le cas d’un groupe de citoyens s’occupant de quelconque manière. peu nous importe. L’ambiance est calme détendue. Soudain. un cafard passe. Surgit de dessous la commode. S’offre une traversée sans escale en terrain découvert. Sa destination : sous le canapé.Son but : aucun. Chez les humains. c’est comme un hyatus, une discontinuité dans la trame événementielle. On s’interrompt au beau milieu d’une syllabe. On devient immédiatement adepte de la méthode Ogino. On suspend son abonnement au catalogue de La Redoute. Puis, brutalement c’est l’hallali, haro sur le baudet. L’intrus est là (?), et s’il se fait tard on dit qu’il nuit. Et si on ne le dit pas, on le pense. Pourquoi ? Mystère et bulldogue. Un semblant d’hystérie collective s’empare de tout un chacun (et de toute une chacune) La vie ne reprendra pas son cours normal tant que l’indésirable et rampant quadrupède ne sera pas devenu bidimensionnel. Et ça y va ! Cul en l’air. savate en main. on flirte avec le lumbago. on tutoie la poussière des carpettes. on se brise le coco sur les rebords des meubles. Que de misères pour un si piètre gibier. On ne désarme pas pour autant. On n’aura de cesse que de l’avoir transformé en souvenir ! Pas un morceau n’en restera entier ! La chasse s’organise. Le maître de céans prend la direction des manœuvres. Un PC s’instaure autour de la table de la cuisine.On désigne une équipe de rabatteurs, tandis que les plus costauds se chargent de déplacer le divan et de mettre le frigo sur pilotis. Les femmes du sexe opposé se réfugient et s’enferment à double tour sur la table de la salle à manger. Rapidement, la logistique l’emporte sur l’instinct animal. La bête est piégée sous le guéridon des apéros. Que se passe-t-il dans ce qui lui sert de cervelle ? La savate deux-doigts qui l’aplatit a l’image d’un portefeuille de smicard en fin de mois n’en a cure. Le monstre est terrassé. Il ressemble dès lors à un glaviot de tuberculeux. Sa tripaille souille la moquette à l’entour, qu’il faudra racler. gratter, nettoyer a grand renfort de K2R. Voilà le mystère : mort. il est plus encombrant que vivant. Et pourtant ?
Pourtant le génocide se poursuit. Lors, il ne s’agit plus de s’intéresser aux attributs du cafard, puisqu’il est démontré qu’en lui-même. sa seule particularité est d’exister. Intéressons-nous plutôt au comportement des vulgaires susdits qui fut narré à titre d’exemplarité.
L’apparition impromptue du saurien a agi comme un révélateur ; a provoqué dans-les esprits une pulsion de haine. un phénomène de rejet, tout comme la seule évocation du mot ayatollah donne une sérieuse envie de lire Salman Rushdie. Le cafard en lui-même n’est rien, nous l’avons vu. figure l. Si rien n’avait traversé le salon, la réaction n’en aurait pas été moins violente.
Nous sommes en présence d’un cas d’association de symboles. un phénomène de transposition du sujet sur l’objet. Ci-dessous. le mécanisme en est clairement détaillé.
Là où il y a saleté, il y a toujours cafard. Donc :
saleté <=> cafard
Le cafard est la où il ya saleté. Donc :
cafard <=> saleté
D’où : cafard <=> saleté Cela entraîne le corollaire suivant : chez moi. c’est sale.
Dur à admettre. Or, là où il y a des hommes, il y a des ordures. de la saleté ! D’où :
humain <=> saleté
Par ailleurs, peut-on dire que, avant que l’humain n’apparaisse en tant que tel sur la planète, peut-on dire qu’il y avait le ”sale” et le ”propre” ? Tout n’était-il pas confondu dans le chaos ordonné de l’évolution ? La grande invention de l’homme ne serait-elle pas. en fin de compte la ”saleté” ? D’où :
saleté <=> humain
et bien sûr :
saleté <=> humain
lntolérable. Il s’ensuivrait :
détruire saleté <=> détruire humain
Légalement impossible.
Corollaire : s’auto détruire. Qui est candidat ? Si nous reprenons l’ensemble des équivalences, on obtient :
saleté <=> humain <=> cafard
Dans l’ordre pour l franc. Ou bien :
détruire saleté <=> détruire humain <=> détruire cafard
Le premier terme de l’équivalence n’est pas admissible par le surmoi égoïste. De plus, l’homme produit de la saleté aussi sûrement que l’avènement d’un gouvernement socialiste fait fuir les capitaux a l’étranger. Nous ne pouvons donc y remédier. Le deuxième terme n’est pas envisageable dans le cadre actuel de la jurisprudence internationale. Reste le troisième :
DETRUIRE CAFARD !!!
Voila décrit précisément l’ensemble des mécanismes qui agissent de manière symbolique au niveau de l’inconscient. Et voilà pourquoi le cancrelat. cette innocente cucurbitacée onguligrade à chaleur active et au goût très frais fait l’objet de la vindicte populaire malgré son insignifiance qui le rendrait transparent si ce n’était nos turpitudes psychiques.
Pour les illustrations, je rendrais à Boby ce qui appartient à César.
@Antioche : merci Antioche. J’avais un doute – c’était trop bien dessiné, ah ah ah ah ahhh.