Ça commence bien l’année 2025. Voilatipa que David Lynch passe de l’autre côté du Grand Machin. À part les gens allergiques à son travail, tout le monde reconnait la perte d’un vrai génie artistique, un type avec une vision hors du commun et qui avait la politesse de ne rien vouloir expliquer – tout le contraire de l’Art contemporain, si j’ai bien compris.
Cinéma Mamao
J’avais entendu parler d’Eraserhead lorsque je suis parti pour le cinéma Mamao (Papeete, Tahiti) voir Sailor et Lula mais je n’étais pas préparé aux délires électriques de Laura Dern et Nicolas Cage (qui était le comble de la cool attitude à l’époque). Ni à la clim poussée à fond qui me faisait littéralement grelotter sur mon siège pendant que des spectateurs quittaient la salle, scandalisés. J’en suis sorti un peu perturbé. J’ai adoré certains moments et d’autres scènes m’avaient mis mal à l’aise – maman qui pète un plomb m’a traumatisé.
Médiathèque de St Pierre de La Réunion
Quelque temps après, je retrouve mon copain Pierre-Louis Mangeard, devenu responsable de la médiathèque à St Pierre, qui me conseille vivement Twin Peaks qui fait partie du fond vidéo. Coup de cœur immédiat, stimulé par un suspens terrible : est-ce que je retrouverai les K7 suivantes disponibles lorsque je vais rendre celles empruntées ? Jusqu’à la K7 volume 9. Pourquoi cette dernière K7 est-elle manquante ? Quel est le gougnafier qui conserve ces ultimes épisodes sous le coude ? Au bout de quelques semaines, je pose la question à Pierre-Louis. Qui me regarde interloqué : il n’y a jamais eu de K7 volume 9.
À partir de là, j’irai voir systématiquement tous les films de Lynch à leur sortie et je n’ai pas été déçu – bon, Inland Empire, il faut vraiment se le fader.
Bob au scénario
Twin Peaks est arrivé dans ma vie en même temps que Les carottes de Patagonie de Lewis Trondheim. Les deux m’ont permis de passer à un autre niveau en ce qui concerne les histoires que je voulais raconter et comment les raconter. Pour boucler le scénario de Planète lointaine (dont la première partie est improvisée), je me suis mis devant les épisodes de la série pour stimuler mon imagination.
C’est une habitude que j’ai prise : à chaque fois que j’ai à écrire un album, je le fais en passant Twin Peaks – les deux premières saisons, je n’ai pas encore tenté l’expérience avec la troisième. Évidemment, ça n’influence pas beaucoup mon écriture puisque, à part un projet de western (refusé) qui voyait la veuve d’un shériff lutter contre une figure du Mal, on ne peut pas dire que mes histoires soient très lynchiennes.
Il y a quand même une séquence dans le Gauguin dont la fonction est identique à certaines scènes de Lost Highway : à savoir un personnage qui pénètre dans l’obscurité pour ressortir autre. Contrairement à ce qui se publie de nos jours, mon éditrice trouvait qu’il manquait une histoire à Gauguin. Il y a donc une partie qui s’appuie sur ce que l’on sait de ses passages à Tahiti et une autre partie purement fictionnelle. Pour marquer cette démarcation dans l’album, Gauguin rentre dans l’obscurité.
(couleurs Laurence Croix)
Un chien en colère
David Lynch a publié pendant plusieurs années un strip oubapien en trois cases où l’on voit un chien en colère attaché dans un jardin. Seuls les textes venant de la maison changent. Voilà un truc qui peut faire un hommage.
Réécriture de l’Histoire
En parcourant les hommages sur les réseaux, je me suis rendu compte que j’ai un peu enjolivé la réalité. Le premier film de Lynch que j’ai vu au cinéma, c’est Dune. Et je n’ai pas vraiment aimé. Lorsqu’il repasse à la télé, je ne tiens pas une demi-heure. Le design et les décors ne me plaisent pas, Kyle MacLachlan avec sa choucroute et son air un peu niais fait un mauvais Paul Atréides, franchement, c’est difficile d’aimer ce truc. Pas grave, je vais continuer à oublier ce raté, ce n’est qu’une toute partie du travail d’un artiste protéiforme hors norme. Bon voyage, David, où que tu sois parti.
Sublime texte;très touchant.
Une sorte de ”David Lynch et moi ”attachant.
Pour le coup, je tire toute la couverture à moi – pour ne pas changer.
Alors, finalement, vous avez vu Sailor et Lula après Dune, et entre-temps, vous aviez oublié que vous aviez vu Dune, mais vous vous en êtes souvenu plus tard ? Étrange, ce moment d’oubli perdu. Ça crée pour le lecteur du blog une situation lynchienne : comme devant Lost Highway ou Mulholland Drive, il se demande ”attends, cette scène qu’on me montre maintenant, elle a eu lieu après celle que je venais juste de voir, ou avant?”
Pourt tout dire, j’en suis tellement perturbé que je me demande à quel moment j’ai vu Dune au cinéma. Est-ce que c’était à sa sortie où à l’occasion d’une reprise ? Ce qui est sûr, c’est que c’était bien à St Denis de La Réunion.